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les carnets de violette
26 décembre 2011

Petite musique de nuit a Tirupati / nocturne pour gare indienne

Trois heures trente du matin. Le reveil sonne et sitot mes boules quies enlevees, je suis assaillie par le vacarme ambiant, aussi penetrant qu en pleine journee : klaxons, appels, bruits de conversations stridentes qui resonnent contre les murs carreles et teles beuglantes. En quelques minutes, je suis prete, mon sac sur le dos, et je descends les escaliers de mon lodge miteux a 150 roupies ( 2 euros) la nuit. Je contourne les silhouettes des garcons qui y travaillent et qui dorment a meme le sol des couloirs, enroules telles des momies dans de minces couvertures sous lesquelles ils disparaissent en entier. Je tends ma cle en laiton a la main de la momie-receptionniste qui ne dort que d un oeil et je sors dans la nuit. Dehors, l animation est la meme qu en pleine journee et comme d habitude, je me faufile dans une circulation dense et klaxonnante, comme d habitude, je passe devant les familles qui helent les autorickshaws du coin de mon bloc d immeubles, comme d habitude je hume les effluves des echoppes de tchai devant lesquelles se massent des hommes verre a la main, comme d habitude je refuse d un sourire les puri luisants d huile aux odeurs pourtant tentantes vendus par des jeunes a la moustache fremissante, comme d habitude je me fonds dans une foule coloree, mouvante et grouillante qui porte sac sur la tete et valise a la main, comme d habitude j evite les corps des mendiants qui dorment par terre en plein passage, comme d habitude je feins le naturel.

Tirupati est un haut lieu de pelerinage hindou : on vient ici de loin, tres loin pour effectuer un darshan (passage devant la divinite, un avatar de Vishnu en l occurence) dans le temple de Tirumala, ce qui explique l activite trepidante autour de la gare de jour comme de nuit, ce temple attirant de 40 a 100 000 pelerins par jour. Pour marquer sa devotion a la divinite ou la remercier d un voeu accompli, beaucoup de pelerins se rasent la tete a blanc et le plus impressionnant est de voir ces indiennes, pour qui la chevelure est un si fort symbole de fierte et de beaute, se retrouver ainsi tete nue, elles qui ne se sont parfois jamais coupe les cheveux. On vient en famille ou en groupe d amis, jamais seul, a l indienne. Ma presence dans cette ville sainte et pieuse a quelque chose d incongru : je suis une non-hindoue, je suis blanche, je suis une femme et je suis seule. Et en plus, je n ai meme pas la tete rasee ! De quoi attirer les regards et la curiosite... Je m engouffre dans la gare.

La nuit se rappelle a moi lorsque je penetre dans le hall. L ambiance est bien celle du lieu mais rappelle aussi etrangement un gymnase dans lequel on accueillerait des refugies. Partout, indifferentes au chaos ambiant, gisent des momies semblables a celles de mon lodge, silhouettes en position foetale recroquevillees sous des couvertures : imprimes a fleurs, unis aux couleurs ternes, en coton tout simple, en toile reche... qui les dissimulent des pieds a la tete, laquelle tete repose sur un sac de voyage use. On distingue la un bout de sari rose, la une tete rasee, la un lunghi blanc sale, la un petit enfant serre contre sa mere ou sa soeur. Les familles forment de petites caravanes entourant de leur sommeil armes et bagages. Les femmes qui balaient le sol, armees d un court balai fait de bouts de bois noues entre eux, degagent manu militari et a grands cris percants les dormeurs qui se trouvent sur leur passage. Des corps se deplient, se levent, s enroulent dans leur couverture et attendent placidement le passage de la tornade avant de se reinstaller a leur place encore chaude sur le carrelage glace. D autres, deja reveilles, attendent patiemment assis par terre que leur heure vienne. Je les imite et m installe sur mon sac en attendant que la plate-forme de depart de mon train, 56041, Pondicherry Passenger, s affiche sur le tableau geant annoncant les departs.

Indifferents a ce dortoir geant, d autres vont et viennent nerveusement, criant des ordres, trimballant sacs, colis et valises, cavalant vers un quai, trainant a leur suite toute une marmaille embrumee de sommeil a qui on admoneste de ne pas trainer en route. Eu egard a l heure matinale, beaucoup sont enveloppes dans une couverture qui les drape tel un burnous, arborent bonnets, cache-oreille en polaire ou a defaut, un mouchoir noue sur le front dont la pointe retombe sur la nuque. Des hommes se tiennent par la main ou le bras, quelques vieux en blanc et orange aux membres decharnes clopinent, les tetes rasees brillent sous les neons. Des femmes aux yeux bouffis (pas encore couchees ou deja levees ?) circulent avec un plateau de bambou tresse duquel s echappent des guirlandes de fleurs fraiches pour orner les nattes des femmes. Les cri des vendeurs de the retentissent, -tea tchai tchai tchaiiiiiiiiiii- , ils fendent la foule d un air presse avec a leur bras un thermos chrome et des gobelets en plastique. Il est encore trop tot pour les marchands de samosa ou de galettes, qui assailleront les voyageurs aux fenetres des wagons d ici quelques heures. D ailleurs la plupart ont deja achete leur nourriture dans l un des nombreux restaurants en face de la gare qui proposent des parcel (plats a emporter). J ai le ventre vide, il est quatre heures dix et mon train ne s affiche toujours pas.

Je me decide a aller voir le bureau des renseignements. Celui ci est comme toujours pris d assaut et il faut jouer des coudes sans se laisser impressionner pour parvenir a parler au prepose, en hurlant a moitie pour se faire entendre. Le fait d etre une femme blanche semblant etre un bon pretexte pour ne pas me laisser passer, je redouble d efforts et applique la technique indienne : je pousse, je bouscule sans egards pour mes voisins et je finis par me camper devant le guichet, bras tendus de chaque cote de moi pour barrer le passage et tete collee a la grille de communication. Pondicherry platform number two ! me repond le micro. Elle est juste en face et je guette les ecrans qui devraient afficher le numero de mon train : toujours rien. Je sors sur le quai et j attends encore... Je tends l oreille aux annonces crachotantes mais tomitruantes en hindi et tamul, tentant d y retrouver le numero de mon train ou sa destination, mais je ne comprends rien. Je prends mon mal en patience.

Entre les rails, les rats et les chiens se disputent les restes des repas abandonnes la tandis que des gens traversent les voies en escaladant les quais, au mepris les ponts qui les enjambent. Les bancs et le sol sont toujours encombres de corps assoupis malgre le bruit infernal qui les entoure. Les points d eau potable en bordure de quai se sont transformes en une salle de bains geante en plein air. Des odeurs d urine et d eau de javel, de parfums et de dentifrice se melent. Les femmes brossent leurs longs cheveux ou rechauffent leur crane nu sous de petits fichus colores en laine crochetee. Leurs maris gardent un air digne pour se passer le peigne dans des cheveux epais et brillants d huile. On brosse les dents des enfants en leur fourrant un doigt enduit de pate dans la bouche. Ca crache a tout va, dans les larges eviers, sur les voies, sur le sol. Des raclements de gorge gras retentissent de partout. On se reveille, on plie les couvertures, on s ebroue. Tout le monde cohabite, offrant avec indifference son intimite au voisin qui d ailleurs, fait pareil. Passee en 2 minutes de mon lit a celui-ci, je fais pareil et tente de retrouver mes esprits dans ce maelstrom chaotique.

L heure de mon train est passee sans que je n en ai vu un seul wagon. Je retourne au bureau des renseignements, brave une nouvelle fois la cohue pour m entendre repondre par le meme employe a l air superieur et excede : Pondicherry already left ! Platform 4 !  Ca ne sert a rien de protester. Il est deja trop tard. Je fends la foule toujours plus nombreuse a rebrousse poil, regagne mon lodge, recupere ma cle aupres d une momie comprehensive et, a l instar des dormeurs chasses par les balayeuses, me recouche dans mes draps encore tiedes. J ai au moins ce luxe. PS - Je renoue avec les claviers sans accents ni apostrophes, desolee :)

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Commentaires
D
Hello Violette!<br /> <br /> Tjrs aussi habile pour décrire l'ambiance indienne, à ce que je vois! Eh bé je m'y suis cru...encore une fois<br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> Moi je pars le 28 janvier, après je reste travailler 3 semaines à Hyderabad puis direction Darjeeling, le Sikkim et les Etats du Nord Est (Arunachal Pradesh) pour 3 semaines de vadrouille...voilà j'essaie de faire un itinéraire en dehors des sentiers battus avec probablement quelques jours au Népal - mon visa affaire à entrées multiples ne me permettant que 30 jours d'affilé en Inde. Si tu es dans le coin ou en partance la bas ou Hyderabad tu me dis bien sûr, ce sera un plaisir de te faire un coucou. Profite bien de ce magnifique pays et de nous en faire profiter par ton blog et tes carnets (qu'on a du mal à voir d'ailleurs sur le site ouèbe).<br /> <br /> <br /> <br /> Gros bisous<br /> <br /> <br /> <br /> Mathias
R
bonne année vio vio <br /> <br /> super de te lire comme d'hab <br /> <br /> sinon t'avais la solution prendre le bus apres avoir raté ton train <br /> <br /> l'inde est insupportable, mais qu'est ce qu 'on l'aime , mais qu'est ce qu'elle est insupportable, mais qu'est ce qu'on l'aime .... biz profite bien
B
Les caractères accentués se retrouvent par l'enfoncement des touches ALT, puis en appuyant sur les nombres indiqués -<br /> <br /> ¤ Alt+0164 <br /> <br /> † Alt+0134 <br /> <br /> × Alt+0215 <br /> <br /> ÷ Alt+0247 <br /> <br /> ¶ Alt+0182 <br /> <br /> ‡ Alt+0135 <br /> <br /> ± Alt+0177 <br /> <br /> — Alt+0151 <br /> <br /> – Alt+0150 <br /> <br /> § Alt+0167 <br /> <br /> ˆ Alt+0136 <br /> <br /> ˜ Alt+0152 <br /> <br /> " Alt+0171 <br /> <br /> " Alt+0187 <br /> <br /> ¦ Alt+0166 <br /> <br /> ‰ Alt+0137 <br /> <br /> © Alt+0169 <br /> <br /> ® Alt+0174 <br /> <br /> ™ Alt+0153 <br /> <br /> <br /> <br /> á Alt+0225 <br /> <br /> à Alt+0224 <br /> <br /> â Alt+0226 ä Alt+0228 <br /> <br /> å Alt+0229 <br /> <br /> Á Alt+0193 <br /> <br /> à Alt+0195 <br /> <br /> Ä Alt+0196 <br /> <br /> Å Alt+0197 <br /> <br /> À Alt+0192 <br /> <br />  Alt+0194 <br /> <br /> æ Alt+0230 <br /> <br /> Æ Alt+0198 <br /> <br /> ç Alt+0231 <br /> <br /> Ç Alt+0199 <br /> <br /> ê Alt+0234 <br /> <br /> é Alt+0233 <br /> <br /> ë Alt+0235 <br /> <br /> è Alt+0232 <br /> <br /> Ê Alt+0202 <br /> <br /> Ë Alt+0203 <br /> <br /> É Alt+0201 <br /> <br /> È Alt+0200 <br /> <br /> ï Alt+0239 í Alt+0237 <br /> <br /> î Alt+0238 <br /> <br /> ì Alt+0236 <br /> <br /> Í Alt+0205 <br /> <br /> Ì Alt+0204 <br /> <br /> Î Alt+0206 <br /> <br /> Ï Alt+0207 <br /> <br /> ñ Alt+0241 <br /> <br /> Ñ Alt+0209 <br /> <br /> œ Alt+0156 <br /> <br /> Œ Alt+0140 <br /> <br /> ô Alt+0244 <br /> <br /> ö Alt+0246 <br /> <br /> ò Alt+0242 <br /> <br /> õ Alt+0245 <br /> <br /> ó Alt+0243 <br /> <br /> ø Alt+0248 <br /> <br /> Ó Alt+0211 <br /> <br /> Ô Alt+0212 <br /> <br /> Õ Alt+0213 <br /> <br /> Ø Alt+0216 <br /> <br /> Ö Alt+0214 Ò Alt+0210 <br /> <br /> š Alt+0154 <br /> <br /> Š Alt+0138 <br /> <br /> ú Alt+0250 <br /> <br /> ü Alt+0252 <br /> <br /> û Alt+0251 <br /> <br /> ù Alt+0249 <br /> <br /> Ù Alt+0217 <br /> <br /> Ú Alt+0218 <br /> <br /> Ü Alt+0220 <br /> <br /> Û Alt+0219 <br /> <br /> ÿ Alt+0255 <br /> <br /> Ÿ Alt+0159 <br /> <br /> ý Alt+0253 <br /> <br /> Ý Alt+0221 <br /> <br /> <br /> <br /> ª Alt+0170 <br /> <br /> Þ Alt+0222 <br /> <br /> þ Alt+0254 <br /> <br /> ƒ Alt+0131 <br /> <br /> solides solubles ß Alt+0223 <br /> <br /> µ Alt+0181 Ð Alt+0208 <br /> <br /> º Alt+0186 <br /> <br /> • Alt+0149<br /> <br /> (une plus <br /> <br /> grande balle) <br /> <br /> „ Alt+0132 <br /> <br /> … Alt+0133 <br /> <br /> ¬ Alt+0172 <br /> <br /> ¿ Alt+0191 <br /> <br /> ¡ Alt+0161 <br /> <br /> ¥ Alt+0165 <br /> <br /> £ Alt+0163 <br /> <br /> € Alt+0128 <br /> <br /> ¢ Alt+0162 <br /> <br /> ¹ Alt+0185 <br /> <br /> ² Alt+0178 <br /> <br /> ³ Alt+0179 <br /> <br /> ½ Alt+0189 <br /> <br /> ¼ Alt+0188 <br /> <br /> ¾ Alt+0190<br /> <br /> Bon voyage dans le numérique ! Bernard
D
Mon Dieu ! Il s'en passe des choses à la maison des commentaires ! Que d'émotions...suscitées par le talent de Violette, avant tout fille libre.
P
Il est vrai que tu es déjà au courant que j'adore ce que tu crées, mais te le dire ici c'est un peu comme te dire "je t'aime" en public, ça apporte une petite touche différente.<br /> J'aime venir sur ton blog, je passe faire un tour chaque jour, j'aime découvrir les nouveaux posts (d'autant plus que je sais qu'ils sont annonciateurs d'un nouveau mail de toi dans ma boite), farfouiller dans les photos du carnet et être à tes côtés un court instant, lire tes observations et goûter à ce qui se cache derrière ton regard...<br /> J'aime ton talent...
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  • Observer, dessiner, écrire, voyager : voilà ce qui anime Violette Gentilleau, artiste polyvalente, curieuse et passionnée diplômée des Arts Décos. Visitez également son site violettegentilleau.com pour visionner plus de projets !
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